Refugee-camp Vienna: les demandeurs d’asile se révoltent en Autriche
La quarantaine de tentes du « refugee-camp vienna » se dressent en plein coeur de Vienne. Sous un chapiteau ouvert, on s’affaire autour d’un micro. des petits groupes se forment autour des braseros. Sur une longue table s’alignent les marmites de la cuisine populaire improvisée avec des ingrédients trouvés ou offerts. Quelques mètres plus loin, d’une cahute érigée à l’approche des fêtes de fin d’année, les touristes observent, curieux, une tasse de vin chaud à la main.
Dans la foulée des mouvements de protestation en Allemagne, aux Pays-Bas, en Pologne, en Hongrie, en Finlande mais aussi en Australie, les demandeurs d’asile ont entamé samedi 24 novembre un vaste mouvement de protestation en Autriche. Sous le mot d’ordre « kein Mensch ist illegal » (aucun être humain n’est illégal), 500 personnes, demandeurs d’asile et sympathisants, ont effectué à pied les 35 km qui séparent Vienne du camp de rétention de Traiskirchen. Et depuis dix jours, malgré des températures frôlant le zéro, environ 70 d’entre-eux campent dans le Sigmund-Freud-Park, en face de l’église votive et à quelques centaines de mètres du Parlement. Mi-octobre déjà, des réfugiés somaliens avait campé trois jours, face au Parlement.
Leurs revendications portent sur l’amélioration des conditions de rétention, la fin des expulsions vers les pays présentant un danger manifeste et l’abrogation des accords Dublin II prévoyant le renvoi d’un migrant dans le premier pays européen ayant enregistré ses empreintes digitales. Les candidats à l’asile en Autriche doivent tout d’abord transiter dans un camp de rétention. Sur les 1123 demandeurs d’asile que comptait l’Autriche au 12 novembre dernier, 888 se trouvaient dans le camp de Traiskirchen (Haute-Autriche). Ils n’ont en principe pas le droit de s’éloigner de leur camp de résidence. La durée du séjour dans un tel camp dépend de chaque cas, allant de quelques jours à plusieurs années.
« Il n’y a pas assez de traducteurs, surtout en langue ourdou. On demande également la possibilité de suivre des cours d’allemand, comment voulez-vous qu’on s’intègre si on n’a pas la possibilité d’apprendre la langue? Les enfants qui vivent dans ces centres de rétention devraient avoir le droit d’aller à l’école publique afin d’être en contact avec les locaux. Il faudrait un accès à la formation, pour ne pas se retrouver démuni à notre sortie» explique Muhammad, originaire du Pakistan. «La nourriture n’est pas suffisante, il n’y a pas non plus d’accès aux services de bases tel qu’un coiffeur, l’accès aux soins est très limité et le manque de traducteurs aggrave la situation. Au premier abord, ça a l’air généreux, mais en fait ce n’est ni plus ni moins qu’une prison ». Raja, également du Pakistan, évoque la tristesse d’être coupé de sa famille: « Tout le monde est attaché à sa famille, mais à Traiskirchen, il n’y a pas de moyen de communication: pas de téléphone ni d’accès à internet ». « Quand tu en sors, tu es à la rue. La plupart du temps tu n’as pas de solution de logement. On ne te fournit pas de vêtements ni de chaussures, tu es livré à toi même. Je voudrais étudier, mais sans papiers ça n’est pas possible. » explique Leila, jeune Somalienne maintenant installée à Vienne. Ils évoquent également les 40€ par mois à leur disposition: dans l’interdiction de travailler, c’est trop peu pour couvrir les frais administratifs engendrés par une demande d’asile.
Outre ces revendications sur les conditions de vie dans les camps de rétention, le mouvement du 24 Novembre demande l’abrogation des accords Dublin II et notamment le droit après un avis négatif à l’effacement des fichiers contenant les empreintes digitales, afin de pouvoir faire une demande dans un autre pays de l’Union Européenne. « S’ils ne nous acceptent pas, qu’ils nous donnent alors la possibilité de demander l’asile ailleurs » lâche Raja.
La marche du 24 Novembre, initiant le mouvement, ne s’est pas déroulée sans encombre. Les migrants dénoncent les manœuvres des autorités du camp de Traiskirchen qui ont tout fait, selon eux, pour les empêcher de manifester : un «contrôle de présence obligatoire dans les chambres à 8h30», puis un à 21h, annoncés à la dernière minute, a ainsi retardé la marche de deux heures, le départ ayant initialement été annoncé à 7h. Depuis, malgré la pression d’une intervention policière et quelques provocations d’identitaires, le campement tient bon.
Sur le plan politique, le mouvement des réfugiés en Autriche est soutenu par les verts autrichiens ainsi que par plusieurs organisations d’aide aux demandeurs d’asile. Akkılıç Şenol, député vert, a qualifié la marche et le camp de “succès politique”: “L’action des réfugiés mérite notre solidarité”. Il a en revanche suscité l’ire du FPÖ. Dès le 27 novembre, le parti d’extrême droite avait envoyé une délégation en « visite » au camp de Traiskirchen afin d’y faire une conférence de presse pour appeler à la fermeture du camp surpeuplé et à la réintroduction un contrôle aux frontières. Depuis, il multiplie les appels à l’évacuation du campement.
Sous le chapiteau au centre du camp, les intervenants se succèdent pour animer différents ateliers. On y discute de l’emploi de la prochaine manifestation, du règlement du camp et de l’organisation des différents aspects de la vie commune, on échange des expériences ou on tente d’organiser une stratégie en cas de complication avec les autorités. Anglais, Allemand, Ourdou, ceux qui le peuvent s’improvisent traducteurs quand nécessaire. « Ils font du business en Libye, en Irak, ils veulent nos ressources mais ils ne veulent pas de nous. Le problème qu’ils ont aujourd’hui, l’asile, c’est eux qui l’ont créé ». « On ne s’arrêtera que quand ils décideront de nous écouter. Ce que l’on demande? Nos droits ». La menace d’une expulsion et de ses conséquences pour les demandeurs d’asile n’est jamais bien loin. Cependant sur le campement, la détermination l’emporte sur la peur.